La lunetterie et l’impression 3D : une révolution est en marche
FORMLABS
parL’optique-lunetterie était un secteur d’activité artisanal et industriel historique en France, jusqu’à ce qu’une partie de la production soit délocalisée en Asie. Aujourd’hui, les consommateurs souhaitent des produits durables, personnalisés, de haute qualité et fabriqués localement, ce qui représente une opportunité majeure pour les industriels. Le point dans cette tribune croisée de Pierre Cerveau, responsable des grands comptes pour Formlabs France, et Sébastien Brusset, designer optique-lunetterie.
Traditionnellement, les lunettes sont produites par fabrication soustractive, réalisées à l’aide d’une machine-outil à commande numérique (CNC). La monture de la lunette est alors fabriquée à partir d’un bloc d’acétate de cellulose, auquel on enlève 85 % de matière. Pourquoi un tel gâchis ? L’acétate présente bien des avantages du fait de ses propriétés mécaniques, de sa grande résistance à la déformation par la chaleur et de ses propriétés esthétiques. L’injection plastique représente, quant à elle, un coût trop élevé pour les fabricants et est plutôt réservée aux montures abordables produites en grand volume.
Autre problématique de taille liée à l’aspect durable du secteur lunetier-optique : la gestion du stock. En effet, il est d’usage que les distributeurs commandent énormément de stock afin de réaliser d’importantes économies d’échelle. Cependant, le stock n’étant souvent pas écoulé dans sa totalité et il n’est pas rare d’observer la destruction d’une partie de ce dernier. Et ce malgré le développement de certaines initiatives promouvant l’éco-responsabilité de ce marché comme le label Optic For Good.
L’impression 3D présente ainsi un intérêt considérable pour le renouvellement de la filière. Produire en impression 3D est un procédé de fabrication additive qui, par son principe, ne génère pas, ou que très peu, de gaspillage de matière.
L’impression 3D pour relocaliser le métier d’artisan-lunetier
L’impression 3D sera un levier de la réindustrialisation de la France. Outre la volonté des autorités publiques de rapatrier des industries sur le territoire national, il est essentiel d’innover afin que produire en France ne soit pas un frein à la compétitivité.
Le Jura français était le fer de lance de la lunetterie européenne, au même titre que le Jura suisse l’est pour l’horlogerie. Le problème est que ce savoir-faire s’est perdu à cause de la délocalisation des commandes des grands acteurs. Si les sous-traitants de la lunetterie ont mis la clef sous la porte de ce fait, ils détiennent pourtant les clefs de la réindustrialisation de cette filière. Ils sont les premiers à d’ores et déjà intégrer l’impression 3D.
Au final, la relocalisation se fera avec plus de proximité, puisque ce sera aux opticiens de se réapproprier le métier de lunetier. L’impression 3D pourra ainsi être directement intégrée dans les magasins. Ils seront alors en mesure de proposer des produits uniques et adaptés. Au lieu d’avoir un stock de 1 200 montures importées d’Asie, ces boutiques réduiront leur empreinte au sol et leurs coûts de production à la demande.
Dotés de scanners 3D ou en utilisant la méthode traditionnelle de mesure du visage à la main, les opticiens seront de véritables artisans-lunetiers. Garantissant un service de qualité, des tâches intéressantes pour les professionnels et donc un attrait supplémentaire pour la profession et surtout le (re)développement d’un savoir-faire Français.
La 3D, la fin des lunettes (sur mesure) chères
Actuellement, c’est la règle de l’uniformisation de l’offre lunetière qui est la norme. Par analogie, c’est comme si un magasin de chaussures ne vendait qu’une seule taille de différents modèles. Car la multiplicité des tailles de lunettes est incompatible avec son industrialisation.
Cependant, ce verrou industriel ayant conduit à l’uniformisation s’avère être un enjeu de santé publique sous-jacent et peu analysé : celui de la perte d’acuité à cause de lunettes non adaptées. Étudiée par la marque Yuniku (Hoya Vision) et estimée à une vingtaine de pourcents, cette dégradation de la vision nuit sans aucun doute au confort visuel et à la précision… Cette société a été l’une des premières à mettre en place une démarche holistique. En réalisant le design des lunettes dans leur entièreté, le verre avec correction est alors au centre du processus afin de concevoir la monture autour de celui-ci, et non l’inverse. Les lunettes, et plus précisément les verres, sont des dispositifs médicaux de correction qui devront à terme se placer au cœur de la fabrication additive.
La personnalisation, qui est désormais rendue possible grâce à l’impression 3D, c’est-à-dire adaptée à la forme du visage, le positionnement des yeux, du nez et des oreilles, l’inclinaison optimale pour bien voir, souffre de freins réglementaires. Aujourd’hui, ces dispositifs sur mesure sont compliqués à homologuer, du fait de leur unicité. Pour ce faire, il faudrait référencer chaque matériau utilisé, chaque procédé d’assemblage, chaque principe de référencement et que la Sécurité Sociale accepte que toutes les lunettes (verres et montures) produits par ces matériaux et ces procédés soient reconnus comme des dispositifs médicaux.
Il en sera de même en ce qui concerne les nouvelles technologies de smart glasses. L’enjeu sera de sortir de ce schéma d’uniformisation proposé par ces grands acteurs de la Tech pour parvenir à personnaliser et rendre accessibles les lunettes. Cependant, avant de s’attaquer à ce défi 2.0, les opticiens doivent se pencher sur les lunettes traditionnelles. Le sur mesure, le confort optique ne doivent pas être réservés au luxe et à l’hyper-personnalisation.
EQUIP PROD – N°150 Mars 2024