Quand l’IA générative s’invite dans l’industrie mécanique
CETIM
parÀ travers une note de veille publiée l’an dernier – mais toujours d’actualité et très riche en renseignements – le Centre technique des industries de la mécanique (Cetim) montre combien l’IA générative offre de larges possibilités d’applications, à l’exemple de la conception d’images et d’objets 3D mais aussi en matière de fabrication additive. Cette note expose en outre la multiplicité des solutions développées pour un usage opérationnel en lien avec la production, la maintenance des équipements et la formation des utilisateurs.
ChatGPT a fait l’effet d’une bombe. En déboulant sur le marché du grand public il y a un peu plus de deux ans, l’intelligence artificielle générative, segment de l’intelligence artificielle (communément appelée IA) vise à produire de manière rapide et autonome des données et du contenu type texte, images, vidéos, ou encore des sons. Très rapidement, les entreprises n’ont pas tardé à regarder les nombreuses perspectives pour la production manufacturière. Celle-ci offre en effet des solutions reposant sur des algorithmes et modèles intelligents qui améliorent la productivité en automatisant et en optimisant par exemple les opérations de maintenance, les plannings de production et les tâches en facilitant la formation des opérateurs. L’IA générative trouve également des applications en fabrication additive en appuyant la création de modèles 3D, voire de « jumeaux numériques ».
L’éditeur de logiciels américain Authentise a développé 3DGPT (en français Transformateur Génératif Pré-entraîné 3D), un outil IA qui permet aux utilisateurs de poser des questions en langage courant sur la fabrication additive. Cette solution est capable de répondre à des interrogations sur les matériaux utilisables, la « fabricabilité » de certaines pièces ou encore de prodiguer des conseils. Elle a été entraînée à l’aide d’une base de données spécifique à la fabrication additive composée de plus de 12 000 articles de journaux scientifiques et de normes sur le sujet, outre les connaissances déjà intégrées dans l’outil ChatGPT construit par OpenAI. 3DGPT offre également la possibilité de fournir les références sur lesquelles sont établies ses réponses, ce qui permet à l’utilisateur de les vérifier au besoin.
De son côté, le développeur britannique de logiciels d’intelligence artificielle, AI Build, a présenté début 2023 Talk to AiSync, un système basé sur le modèle de langage de ChatGPT d’OpenAI pour faciliter la transmission d’instructions aux imprimantes 3D et ainsi automatiser l’ensemble du processus de fabrication additive. Talk to AiSync est une plateforme SaaS (Software as a Service) construite sur un moteur de programmation lui permettant de parcourir des outils visuels, le modèle de langage de ChatGPT ainsi que des données de fabrication obtenues en conditions réelles.
Les utilisateurs peuvent renseigner en langage naturel différentes instructions sur l’interface logicielle, qui seront transmises par l’outil aux imprimantes, automatisant ainsi les flux de travail parfois complexes d’impression 3D. Ils peuvent également commander au logiciel des simulations d’impression via la génération d’un jumeau numérique, leur permettant ainsi une meilleure visualisation afin d’éviter de potentielles collisions lors du processus. La solution inclut aussi des fonctions d’analyse et de reporting intégrées à l’outil qui assurent l’optimisation et la reproductibilité du processus d’impression 3D. Selon le cofondateur d’AI Build, les bénéfices de cette solution pourront permettre de faciliter l’adoption de la fabrication additive dans l’industrie, ainsi que d’augmenter les cadences de production par l’automatisation notamment.
Airbus réduit de 45 % le poids des cloisons de séparation des avions avec la conception générative
La conception générative par des algorithmes d’intelligence artificielle s’est retrouvée au coeur du projet de l’Airbus Concept Plane, une vision de l’avion de ligne en 2050 chez l’avionneur, développée dans une optique de réduction de sa masse afin de consommer moins de carburant et diminuer son empreinte carbone. Airbus s’est pour cela associé à Autodesk Research afin d’exploiter la conception générative pour générer un modèle de « cloison bionique » pour son avion phare, l’A320.
Cette cloison, séparant l’habitacle de la cuisine dans la cabine de l’avion, a été choisie afin d’utiliser la conception générative en prenant en compte les contraintes identifiées suivantes : légèreté, faible épaisseur, solidité pour un ancrage de sièges d’appoints, fixation à la cellule de l’avion en quatre endroits seulement, présence d’une découpe pour faire sortir et entrer des objets larges, déplacement en cas d’accident d’une force de 16g. La technologie d’Autodesk Research a été capable de tester 10 000 options de conception et combinaisons possibles pour mettre en évidence la meilleure cloison. En testant ces différentes configurations, l’algorithme a pu apprendre ce qui était susceptible de fonctionner ou non, sur la base d’une démarche itérative d’apprentissage automatique.
Résultat ? Une structure plus légère de 45% par rapport à une cloison conçue de manière « traditionnelle » chez Airbus, et ce avec un processus utilisant seulement 5% de la matière première utilisée par le processus de
fraisage de pièces à partir d’un bloc métallique précédemment mis en œuvre.
General Electric accélère la conception de composants aérodynamiques de ses turbines à gaz
GE Research, la branche de développement technologique de General Electric, a travaillé sur un projet global d’amélioration de l’efficacité des centrales électriques à cycle combiné en créant un outil de conception inverse probabiliste. Cette solution s’appuie sur un réseau neuronal et de l’apprentissage automatique pour en optimiser la conception et présente ainsi la capacité de traduire différents paramètres en conceptions optimisées. Objectif ? Réduire de 30 à 50% (soit plusieurs mois) la durée des cycles de conception de composants énergétiques aérodynamiques de ses centrales à cycle combiné tels que les pâles de turbines à gaz (un an).
L’intégration de cette nouvelle solution numérique alimentée par des outils d’intelligence artificielle générative dans la conception de composants complexes a permis, entre autres, d’évaluer la perte aérodynamique d’une turbine à gaz et de tendre vers une efficacité accrue qui se traduirait par un rendement minimal de 65%.
Un logiciel pour optimiser le refroidissement des équipements
L’entreprise belge Diabatix a développé une solution reposant sur un algorithme intelligent de conception générative afin de générer des designs optimisés pour les équipements et systèmes de refroidissemen t thermique.ColdStream, son logiciel SaaS, peut intervenir à toutes les phases itératives du processus de conception, des premières conceptions virtuelles à l’analyse des systèmes conçus, en répondant aux conditions, températures
et contraintes identifiées par les ingénieurs comme la masse, les propriétés des matériaux et les capacités de fabrication.
L’outil est capable d’analyser les performances d’un transfert de chaleur à travers un système donné, de générer des conceptions sur mesure, ou encore d’incorporer des fonctionnalités supplémentaires (ailettes, canaux, dissipateurs thermiques) afin d’en améliorer les performances et limiter les risques de surchauffe. Utilisée par plusieurs géants industriels dont Dell, Panasonic ou Leonardo, la solution apporte un gain de temps considérable aux ingénieurs avec une prise en main intuitive, sans requérir d’expertise particulière. Diabatix revendique une réduction à moins d’une heure du temps humain passé sur la conception en lien avec le circuit de refroidissement contre 10 à 20 jours pour une solution classique. La durée globale du cycle de conception est ainsi réduite de plusieurs mois à moins de trois semaines.
Quand l’IA génère des images d’objets en 3D
OpenAI a développé Point-E, un outil IA basé sur l’apprentissage automatique capable de générer des images d’objets 3D à partir d’une courte description textuelle en une à deux minutes. Point-E se décompose en deux modèles : un modèle texte-image qui a été entraîné avec des images étiquetées pour intégrer les associations mots-concepts visuels, et un modèle image 3D entraîné à partir d’un ensemble d’images associées à des objets 3D afin d’être capable d’opérer la transition image-objet 3D.
Grâce à ces deux modèles, il est possible pour Point-E de générer des nuages de points pour représenter une forme 3D. Un troisième modèle IA permet ensuite de convertir les points en maillage, afin de représenter l’ensemble des faces, arêtes et sommets de l’objet souhaité. L’outil compte de nombreuses applications industrielles, notamment pour la génération de maillages ou de nuages de points pour des utilisations en phases de conception et de simulation.
Zapata et BMW optimisent l’ordonnancement dans la construction automobile
En ayant recours à l’IA générative, BMW souhaite apporter une réponse au défi d’optimisation des plannings de production pour limiter les temps morts entre les différentes étapes du processus de fabrication au sein de plusieurs de ses usines. Pour cela, le constructeur automobile allemand a fait appel à la technologie GEO (Generator Enhanced Optimization) développée par Zapata Computing, qui utilise des modèles d’apprentissage génératifs quantiques pour optimiser la planification au sein des sites industriels. L’enjeu principal est d’optimiser les calendriers de production de véhicules et prévenir les dérives et arrêts de ligne, évènements pouvant s’avérer coûteux en particulier dans l’industrie automobile.
Ces modèles ont été entraînés avec les meilleures solutions déjà existantes, dans le but d’identifier l’algorithme d’optimisation le plus performant. Un million d’exécutions d’optimisation ont ainsi été effectuées durant cette phase d’analyse comparative et d’apprentissage. Après configuration, GEO a présenté des performances supérieures à celles des autres solutions dans 71% des cas. En adoptant GEO, BMW s’est ainsi confronté au défi d’atteinte des objectifs de production et d’efficacité opérationnelle sur un ensemble d’ateliers de production à travers le monde n’ayant pas les mêmes contraintes en matière de taux de production, d’horaires de travail et de ressources de personnel.
Une technologie de ChatGPT pour améliorer productivité et créativité par la maîtrise du code G
L’éditeur de logiciels chypriote Sprut CAM Tech a mis au point un assistant polyvalent basé sur de l’intelligence artificielle que les ingénieurs peuvent interroger sur des instructions en code-G (langage universel reconnu par les machines à contrôle numérique), qu’il sera capable de clarifier, de même que d’en décrire les objectifs de manière détaillée en langage clair/courant. Lancé en mai 2023, cet assistant nommé Ency apporte également des compétences de programmation en code G à partir de descriptions textuelles des opérations par les utilisateurs, possible en plusieurs langues.
Le codage en Python est également possible afin de créer des modèles 2D et 3D de pièces avec un guidage de l’opérateur tout au long du processus et un affichage des résultats en temps réel. L’assistant est capable de fournir des informations sur les spécifications, capacités et dimensions des machinesCNC utilisées, et d’en visualiser le schéma numérique. Ses réponses incluent des références et peuvent rediriger les utilisateurs vers d’autres ressources pertinentes si, toutefois, il n’est pas en mesure de répondre précisément à une interrogation. Comme le souligne Andrei Kharatsidi, co-fondateur de SprutCAM Tech, « Ency offre un gain de temps à ses utilisateurs et permet de développer leur créativité ».
De l’IA générative pour l’apprentissage de robots
L’institut de recherche du Toyota Research Institute (TRI) a déployé une nouvelle approche d’IA générative basée sur la politique de diffusion afin d’enseigner sur une courte durée des compétences complexes à des robots telles que le versement de liquides ou encore l’utilisation d’outils et la manipulation d’objets déformables. Cette approche constitue une étape importante dans la construction de modèles de comportement pour les robots. De nouveaux comportements leur sont enseignés via des démonstrations haptiques effectuées par un enseignant, en plus d’une description linguistique de l’objectif.
Ces comportements leur permettent d’interagir avec leur environnement et d’aller au-delà des compétences simples de « pick and place » visant à attraper un objet pour le déposer à un nouvel endroit. Une fois les dizaines de démonstrations effectuées pour une compétence donnée, la politique de diffusion basée sur l’IA permet l’apprentissage de manière fiable et reproductible. Les robots utilisent les images de leur caméra et la détection tactile à partir des démonstrations effectuées. À date, plus de 60 compétences ont déjà été enseignées, le TRI visant l’apprentissage de plusieurs centaines de compétences d’ici la fin 2023, et un millier pour la fin de l’année 2024.
Enfin, Google DeepMind a de son côté développé RT-2, un nouveau « modèle
d’action-vision-langage », qui combine les capacités des grands modèles de langage entraînés sur le web avec les mécanismes permettant aux robots de service de réaliser des actions. Ce nouvel algorithme permet de faire effectuer des tâches au robot, sans lui donner une série d’instructions précises, mais plutôt un objectif qu’il va réussir lui-même à diviser en liste d’actions. Autrement dit, l’algorithme va utiliser le modèle de langage pour
interpréter la commande en langage naturel et planifier ses actions en conséquence. Le robot est ainsi capable de suivre une série d’instructions telles que « apporte-moi les chips qui sont dans le tiroir », que le modèle
de langage décompose en instructions telles qu’« aller au tiroir », « ouvrir le tiroir », « prendre le sachet de chips ».
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EQUIP PROD – N°156 Décembre 2024