« Nous devons trouver des moyens de sortir plus forts de cette crise »
AIF
parLes nouvelles technologies permettront indiscutablement aux entreprises de rebondir plus rapidement. Encore faut-il pouvoir les financer. Pour cela, l’Alliance Industrie du futur (AIF) recommande des dispositifs plus offensifs que de « simples » prêts.
Equip’Prod
Monsieur Grandjean, avant de commencer, un mot pour décrire la situation actuelle…
Bruno Grandjean
Le premier mot qui me vient à l’esprit, c’est sidération. Personne n’a anticipé cette crise alors que beaucoup d’industries françaises possèdent des filiales et des usines en Chine. En peu de temps, nous sommes passés du paradis à l’enfer. À ce jour, on peut dire que l’économie est sortie d’un traumatisme grave et se trouve désormais en salle de réanimation.
Concernant les entreprises françaises, il faut distinguer plusieurs cas, avec d’une part les grandes entreprises qui ont dû mettre à l’arrêt leur production, tout comme de nombreuses petites sociétés. D’autre part, les ETI qui ont pu continuer à produire en mode dégradé. Celles qui s’en sont le mieux sorti ont su faire preuve d’une intelligence collective reposant sur des technologies d’industrie du futur mais aussi sur des relations étroites entre la direction et les salariés.
“ Les entreprises qui s’en sont le mieux sorties ont su faire preuve d’une intelligence collective reposant sur des technologies d’industrie du futur et sur des relations étroites entre la direction et les salariés ”
Quel regard portez-vous sur la seconde phase de la crise ?
Nous constatons qu’il est très difficile pour les entreprises françaises de redémarrer avec environ 60 % de l’activité [à la mi-mai – NDLR] contre 80 % en Allemagne. Outre-Rhin, les autorités ont répondu de façon plus proportionnelle à la crise avec un arrêt moins brutal qu’en France ou en Italie. Lors de cette seconde phase, 60 % des entreprises industrielles font face à un défi en matière de management et la plupart ont vu leur carnet de commandes fondre comme neige au soleil (comme l’automobile et l’aéronautique), à l’exception des industries agroalimentaire et de la santé. Or, pour redémarrer l’offre en répondant aux attentes des salariés et stimuler la demande, les managers sont confrontés à un stress jamais vu à ce jour.
“ Nous devons trouver des moyens de sortir plus forts de cette crise, par exemple en rétablissant les marges de nos usines et leurs fonds propres via une suppression des taxes sur le Made in France (taxes de production) et une conversion du PGE en prêt de longue durée assimilable à des quasi-fonds propres ”
En quoi les technologies d’industrie du futur peuvent aider à reprendre et à mieux rebondir ?
Avant tout, nous constatons que les entreprises ayant déjà mis en place ces briques* de base ont pu bien mieux s’adapter que les autres. Ces briques technologiques passent par la création d’un site d’e-commerce, d’un circuit logistique sophistiqué, de chaînes d’approvisionnement intégrées, des usines robotisées et automatisées sans oublier la mise en place d’outils de télétravail, du moins pour certains salariés, sans oublier l’utilisation des webinaires et des visio-conférences.
Dans ce contexte, nous remarquons que la France n’est pas mal positionnée car beaucoup d’entreprises ont fait l’acquisition d’outils numériques performants. Le point positif, c’est qu’on a fait davantage en deux mois qu’en cinq ans pour démontrer que le numérique est essentiel. De même, un nombre croissant d’entreprise voit désormais l’intérêt des jumeaux numériques en particulier pour des questions de maintenance et de mise en route à distance. Le numérique permet enfin d’adapter et d’optimiser plus facilement les postes de travail, rendant plus simple la protection des salariés.
Quelles sont selon vous les mesures à prendre, qu’elles soient politiques et économiques ?
Les efforts importants de l’État ont été essentiels à la préservation à court terme de nos entreprises, mais la sortie du chômage partiel et le remboursement du PGE vont se traduire par une fragilisation de notre industrie qui risque, pour survivre, de devoir sacrifier l’avenir c’est-à-dire les investissements humains et matériels. Nous devons trouver des moyens de sortir plus forts de cette crise, par exemple en rétablissant les marges de nos usines et leurs fonds propres via une suppression des taxes sur le Made in France (taxes de production) et une conversion du PGE en prêt de longue durée assimilable à des quasi-fonds propres. Ces mesures offensives sont une opportunité de mettre l’industrie française au cœur d’une consolidation industrielle européenne qui va s’accélérer avec la crise. J’ai la profonde conviction que les champions de l’industrie du futur seront ceux qui pensent et investissent à l’échelle de l’Europe.
“ Le point positif, c’est qu’on a fait davantage en deux mois qu’en cinq ans pour démontrer que le numérique est essentiel ”
* Les entreprises peuvent retrouver les briques technologiques essentielles à leur transformation dans le référentiel développé par l’Alliance Industrie du Futur
EQUIPPROD • N°118/119 Avril/Mai 2020